lundi 18 août 2014

Le Moleskine (4)


Depuis quelques jours, je suis aux anges : quotidiennement, Alphonsine ouvre mes pages et écrit des histoires.

Pendant qu’elle écrit avec concentration, je l’observe. Je suis bien placé pour voir toutes ses mimiques, et tous les sentiments qui passent sur son visage. La pauvre, la plupart du temps, elle ne peut rester appliquée bien longtemps. On sent qu’elle se retient de soupirer, et répond très gentiment : « Dans le deuxième tiroir de la commode » ou « Là où tu l’as posé », « As-tu pensé à emporter le porte-monnaie ? » … Comment peut-on écrire en laissant une oreille glaner les bruits de la maison ?

L’autre jour, elle m’a emporté dans la campagne. Elle a étendu une couverture sur un pré, a mis ses écouteurs, s’est installée à plat-ventre, m’a ouvert et a fermé les yeux. « Mozart et mon Moleskine, quelle béatitude », a-t-elle murmuré.

Puis, elle a saisi son porte-mine, celui que j’aime tant, dont la mine est si douce et dont le contact semble caresser mes pages. Elle a écrit d’une traite quatre pages d’affilée. Comme elle est heureuse lorsqu’elle écrit ainsi. En général, elle écrit trois ou quatre pages d’une traite. Mais il lui arrive aussi de me refermer après quelques lignes, voire une page d’écriture. Aussitôt, dans un soupir, elle me reprend, se murmure à elle-même « allez, courage ». Elle tourne un peu son crayon et trace les mots sans plus s’arrêter.

Les premières lignes me grattent légèrement. C’est jute limite entre l’agréable et l’insupportable. Au bout de quatre lignes, la mine s’est suffisamment émoussée pour que le contact soit tendre. Alphonsine me protège, parce qu’elle prend toujours garde de ne plus tourner son crayon. Elle aussi préfère écrire dans la douceur.

Rarement, je sens un léger frottement sur mon grain, comme un doigt qui me caresserait fort. J’ai entendu Alphonsine dire, juste avant cette friction « Où est ma gomme ? » C’est donc qu’elle gomme un mot ou juste quelques lettres. Depuis qu’elle a appris qu’elle pouvait acheter des gommes pour porte-mines, elle ne se sert plus que de la gomme fixée à l’arrière du crayon. Lorsqu’elle reprend son récit, je sens à nouveau le gratouillement de la mine acérée. Mais en fait, elle gomme si rarement que je n’en suis pas vraiment incommodé.




4 commentaires:

  1. écrire d'une traite, sans gommer, barrer ou déplacer des mots...mon rêve :)

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    1. Je crois que c'est dû à l'usage d'un dictaphone à l'époque où j'étais avocat. Il est difficile de se corriger sur un dictaphone. Seule la dernière phrase peut vraiment être retouchée, mais tu ne peux remonter en arrière trop loin, sous peine de tout devoir recommencer.
      J'ai alors pris l'habitude d'organiser le plan dans ma tête, et d'avoir une idée très précise de ce que j'allais dicter. Ensuite, tout va tout seul. Mais c'est un entraînement sérieux !!!

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  2. J'écris moi-même, au crayon à papier ou au stylo plume, sur des carnets en moleskine..... Je comprends.
    Bonne journée.

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  3. Je suis sûre que tu es une "écriteuse" consciencieuse et appliquée, et que tu choisis tes mots avant de les poser, ce Moleskine t'a drôlement bien cernée...

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