"Je suis une maison, spacieuse et éclairée. Je vois tout, j'entends tout, essentiellement les secrets des habitants. J'ai entendu parler récemment de l'agenda ironique et de son sujet du mois de juin, l'objectivité des objets. Je m'estime tout à fait apte à pouvoir écrire un article à ce sujet. Pourtant, la contrainte qui consiste à émailler le texte d'alexandrins aux rimes croisées, plates ou embrassées m'embarrasse un tout petit peu. Une maison n'est pas Victor Hugo. Ne vous méprenez pas, je connais bien Victor Hugo, auteur préféré d'un grand nombre de mes occupants. Pour vous montrer ma sincérité, je vous joints en annexe un poème de ce grand homme. Je l'ai recopié, il était affiché dans ma cage d'escalier.
Mes larges fondations posées au milieu des arbres,
A côté d’un château et me voilà parée
De volets rouges ouverts sur ma façade de marbre,
Je ressemble à une gare, il ne faut vous leurrer.
Les enfants viennent sous le préau pour y jouer,
Les parents s'y installent pour voir le temps passer.
Les amis s'y rassemblent en foule toujours présente,
J'accueille largement cette affluence bacchante.
Je ressemble à s’y méprendre à une gare, avec mon architecture de station ferroviaire. Je ne ferme jamais les yeux, mes volets rouges restent toujours ouverts, j’espère ainsi être plus accueillante.
J’ai tout d’une gare, l’apparence extérieure, mais également mon intérieur qui accueille des gens de passage. Ils vont et viennent, y dorment une nuit ou soixante, parfois même un peu plus, mais guère plus. Mon intérieur n’est pas reluisant, il n’est pas attractif non plus, mais tout le monde m’aime, de la cave au grenier.
La cave d’abord, humide et froide, été comme hiver, est un paradis pour les enfants. Ils descendent en tremblant, et remontent en courant. S’ils y jouent, ce n’est jamais pour très longtemps.
Le rez-de-chaussée est l’étage que j’aime le moins. Il est celui des gens sérieux. Les réunions des adultes sont mortellement ennuyeuses. Heureusement, il arrive qu’une maman ouvre toutes les portes de communication, ce qui permet à ses enfants de jouer au loup ou de faire un parcours en planche à roulette quand ce n'est pas une partie de foot. Enfin, je vis, je respire, je me délecte. Mes poumons se remplissent de vitalité et d’entrain.
Le premier étage est mon préféré, avec ses dix pièces (neuf chambres et une immense salle de réunion), et ses deux paliers époustouflants. J’accepte que l’on y installe tous les trains, circuits de voitures, jeux de billes, parcours du combattant. Quelle joie d’entendre les cris et les rires des enfants, c’est pétillant, c’est frais, c’est gai.
Mes douches qui communiquent par le haut font le bonheur de ceux qui aiment poursuivre leur conversation tout en se lavant. J’entends chanter à deux voix, c’est toujours un peu faux, mais tellement attendrissant. Et mes douze lavabos font hurler les mères de famille, ce qui m’amuse toujours autant.
Un grenier interdit… Et comme tout grenier interdit, j’y accueille les enfants désobéissants. J’aime les voir ouvrir discrètement la porte en prenant soin de ne pas la faire grincer, puis la refermer tout aussi doucement derrière eux. Ils montent l’escalier en colimaçon en levant la tête. Je vois alors un peu d’anxiété dans leurs yeux, je sais qu’ils jouent à se faire peur. En arrivant, ils soupirent, soulagés, il ne s’est rien passé. La dernière fois, c’était une petite fille en robe qui dansait et tournoyait en chantant. Une autre fois, un garçon déjà grand qui avait fixé sa corde à une de mes poutres et que se balançait en hurlant. Le malheureux, j’aurais tant voulu lui dire de ne pas crier, mais sa maman bien perspicace l’avait repéré avant que je ne puisse intervenir.
Je ne suis pas belle, non, mais attachante, et je marque les hommes, les femmes et les enfants qui passent chez moi. Je suis bien telle une gare : on passe chez moi sans y penser, mais on se souvient toute sa vie de ce moment de grâce.
"Je suis une maison, spacieuse et éclairée. Je vois tout, j'entends tout, essentiellement les secrets des habitants. J'ai entendu parler récemment de l'agenda ironique et de son sujet du mois de juin, l'objectivité des objets. Je m'estime tout à fait apte à pouvoir écrire un article à ce sujet. Pourtant, la contrainte qui consiste à émailler le texte d'alexandrins aux rimes croisées, plates ou embrassées m'embarrasse un tout petit peu. Une maison n'est pas Victor Hugo. Ne vous méprenez pas, je connais bien Victor Hugo, auteur préféré d'un grand nombre de mes occupants. Pour vous montrer ma sincérité, je vous joints en annexe un poème de ce grand homme. Je l'ai recopié, il était affiché dans ma cage d'escalier.
A côté d’un château et me voilà parée
De volets rouges ouverts sur ma façade de marbre,
Je ressemble à une gare, il ne faut vous leurrer.
Les enfants viennent sous le préau pour y jouer,
Les parents s'y installent pour voir le temps passer.
Les amis s'y rassemblent en foule toujours présente,
J'accueille largement cette affluence bacchante.
Je ressemble à s’y méprendre à une gare, avec mon architecture de station ferroviaire. Je ne ferme jamais les yeux, mes volets rouges restent toujours ouverts, j’espère ainsi être plus accueillante.
Clair de lune
Victor Hugo
La lune était sereine et jouait sur les flots. —
La fenêtre enfin libre est ouverte à la brise,
La sultane regarde, et la mer qui se brise,
Là-bas, d’un flot d’argent brode les noirs îlots.
La fenêtre enfin libre est ouverte à la brise,
La sultane regarde, et la mer qui se brise,
Là-bas, d’un flot d’argent brode les noirs îlots.
De ses doigts en vibrant s’échappe la guitare.
Elle écoute… Un bruit sourd frappe les sourds échos.
Est-ce un lourd vaisseau turc qui vient des eaux de Cos,
Battant l’archipel grec de sa rame tartare ?
Elle écoute… Un bruit sourd frappe les sourds échos.
Est-ce un lourd vaisseau turc qui vient des eaux de Cos,
Battant l’archipel grec de sa rame tartare ?
Sont-ce des cormorans qui plongent tour à tour,
Et coupent l’eau, qui roule en perles sur leur aile ?
Est-ce un djinn qui là-haut siffle d’un voix grêle,
Et jette dans la mer les créneaux de la tour ?
Et coupent l’eau, qui roule en perles sur leur aile ?
Est-ce un djinn qui là-haut siffle d’un voix grêle,
Et jette dans la mer les créneaux de la tour ?
Qui trouble ainsi les flots près du sérail des femmes ? —
Ni le noir cormoran, sur la vague bercé,
Ni les pierres du mur, ni le bruit cadencé
Du lourd vaisseau, rampant sur l’onde avec des rames.
Ni le noir cormoran, sur la vague bercé,
Ni les pierres du mur, ni le bruit cadencé
Du lourd vaisseau, rampant sur l’onde avec des rames.
Ce sont des sacs pesants, d’où partent des sanglots.
On verrait, en sondant la mer qui les promène,
Se mouvoir dans leurs flancs comme une forme humaine… —
La lune était sereine et jouait sur les flots.
On verrait, en sondant la mer qui les promène,
Se mouvoir dans leurs flancs comme une forme humaine… —
La lune était sereine et jouait sur les flots.
2 septembre 1828
Victor Hugo, Les Orientales, 1829
et que faut-il mettre sous la photo: "ceci n'est pas une gare"?
RépondreSupprimerbien joué, Alphonsine!
Il manque malheureusement la voie ferrée désaffectée.
SupprimerÔ belle maison qui bruit de la vie qu'elle abrite!
RépondreSupprimerMerci!
Et le poème d'Hugo dont la chute est si sombre... Corps jetés vivants à la mer, dans la douceur orientale qui baigne le poème... Brrrr, j'en frissonne!
C'est une maison qui non seulement bruit, mais elle frémit, et lorsque tout est calme, elle raconte les histoires des occupants qui l'ont habitée dans des temps lointains.
SupprimerJe me suis demandée si j'avais la berlue car voilà une maison qui parle!! J'aime bien aussi le grenier avec les enfants qui jouent. Finalement une maison est vivante. On le voit bien quand on l'abandonne...elle déprime et tombe en ruines. Merci pour cette belle histoire de maison et bises alpines.
RépondreSupprimerIl n'y a pas que la maison qui parle, l'atelier aussi a des choses à dire sur la façon dont le maître des lieux se bat avec la matière. Mais le résultat serait moins élégant si on choisissait de reporter avec fidélité les propos qui y sont proférés !
SupprimerHou la la,j'ai cru voir des fantômes dans le grenier et des horreurs à la cave. Mais non, tout y est paisible, tout sent bon la tranquillité, tout respire la sérénité. Belle participation à l'Agenda Alphonsine. Et très belle maison !
RépondreSupprimerMerci Anne. Je pense que tu as raison pour les fantômes, mais ils étaient plutôt dans un petit coin de la cave...
SupprimerSeconde rencontre avec cette gare, si je ne m'abuse.
RépondreSupprimerMais cette fois-ci, elle parle; et en maison-mère, qui s'y connait en affaires de bruits, réunions, enfants...
On a envie de l'adopter.
Depuis la Maison Usher, on sait que les maisons savent mieux que nous nos histoires de famille ;) ta gare est heureusement d'un genre plus calme et débonnaire, avec ses grandes pièces fraiches et accueillantes.
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