jeudi 22 février 2018

Qui suis-je ?

Je suis tout petit, très léger, je m'envole avec le vent. Je peux prendre toutes les couleurs imaginables. La couleur argentée me sied particulièrement, mais je suis beau aussi en jaune, en rouge, en vert ou en bleu. Habituellement, tout le monde accourt pour m'admirer, me contempler, me sublimer. Je fais rire mes spectateurs, je provoque des séances animées de batailles charmantes. Mais ce n'est que lorsque nous venons en groupe, mes frères et moi que la vie devient belle et palpitante. Nous devenons alors tout fous, nous nous élevons et retombons en pluie bienfaisante. Les enfants crient de joie, lèvent les mains vers nous, les adultes poussent des petits hurlements, laissant croire qu'ils nous haïssent, alors qu'ils sont ravis de nous voir atterrir sur leurs cheveux.

Quelques heures après notre rencontre, les humains rentrent chez eux, un peu fatigués de la belle après-midi passée à nous admirer. Ils secouent leur crinière, puis sur fond d'un soupir, ils passent le seuil de leur maison. Ils retirent leur manteau, leur écharpe, leurs chaussures, se secouent tant et plus en contemplant, dépités, de quelle façon nous nous répandons sur le sol. Ils haussent les épaules, résignés à ne sortir l'aspirateur que le lendemain. Ils avancent en nous laissant tomber un à un. Le soir, dans la salle de bain, alors que nous jonchons déjà toute la maison, nous faisons apparaître toute notre puissance : à chaque vêtement enlevé, c'est un soulèvement de belles couleurs. L'humain pense que tout est terminé, que neni, nous nous logeons même dans leurs sous-vêtements.

Ce n'est pas une séance d'aspirateur qui viendra à bout de notre présence devenue bien inopportune, mais une séance par jour pendant une semaine. Ensuite, nous nous ferons un peu plus discrets, mais nous saurons revenir de temps en temps pour nous rappeler au bon souvenir. Parfois, nous parvenons même à tenir une année entière et à faire un petit coucou 365 jours exactement après le précédent carnaval. 


samedi 10 février 2018

Les deux frères

- Enfin, Ambroise, tu n'as pas répondu à Quentin lorsqu'il t'a dit bonjour. On avait pourtant décidé que tu répondrais à tous ceux qui t’appelleraient Anatole, et que je réagirais à toute personne m'appelant Ambroise... Sinon on va se mettre les copains et les profs sur le dos.  

C'est ce qui se passe dans une petite ville, entre deux frères qui se ressemblent tant aux yeux des autres, qu'ils doivent même échanger de prénom !


jeudi 8 février 2018

Les beautés de Saint-Gall

La semaine dernière, nous avons reçu un ami d'Anatole qui habite à présent à Saint-Gall. 
- Tu verras, Anatole, Saint-Gall est une ville splendide... Le lever du soleil sur Saint-Gall, vu depuis la colline est une pure merveille.

J'ai été éblouie. C'est la toute première fois que j'entends quelqu'un parler de beauté d'un lieu en invoquant le lever du soleil. Ce garçon est incroyable, il détient la clef du bonheur puisqu'il sait voir l'essentiel !


mardi 6 février 2018

Une morale en cache une autre (Agenda ironique de février)

Tout avait commencé le dimanche de la quadragésime. Ce jour-là, après le pousse café, Eloi avait annoncé d’un ton qui n’admettait pas de réplique : « Je vais à la foire dépenser mon tringueld ». Sans attendre de réponse, il s’élança vers la porte, l’ouvrit violemment et la claqua derrière lui.

Il marchait avec énergie, d’un pas de conquérant. Sans ralentir il se remémora sa sortie tonitruante et se demanda pour qu’elle raison il avait agi de la sorte. Rien ni personne ne l’aurait empêché de partir, c’était un peu absurde, mais il se mit à rire. Il aimait ces gestes grandioses, ces attitudes incompréhensibles, ces mouvements qui le mettaient en valeur. Au fond, tout cela n’avait aucune importance, et ceux qui étaient restés avaient certainement déjà oublié cet élan qu’il qualifiait de majestueux !

Il chassa cet événement mineur de sa vie d’un geste de la tête et se concentra sur la fête foraine. Voilà qui méritait ses pensées. Tout en imaginant les stands qu’il allait visiter, il tâtait compulsivement sa poche pour vérifier la présence de sa bourse bien remplie. Ce qu’il allait pouvoir s’amuser, jamais encore il n’avait eu autant d’argent à sa disposition.

Tout en faisant le programme des attractions qui allaient avoir sa visite, il arriva sur la place du village. Cinq heures sonnaient au clocher de l’église. « Tiens, déjà », se dit Eloi. Il commença à arpenter les rangées. Le tir au fusil le tentait, mais, bon tireur, il ne souhaitait être gagnant si vite, il aurait été encombré par l’éléphant en peluche de la taille d’un veau ! Le comptoir des tartes ne l’attirait pas, il avait encore son dessert sur l’estomac. Il regarda longuement les badauds sortir du labyrinthe de miroirs. Un jeune couple était hilare d’avoir égaré son chaperon, Eloi les entendit se donner rendez-vous à l’orée des bois. Il se faufila entre des enfants dévorant des gaufres, puis contempla les manèges en bois. Comme il avait envie de monter sur ce tourbillon. Les hommes perdaient leur chapeau, les cheveux des femmes se défaisaient et volaient au vent. C’était amusant de les contempler.

Six heures sonnaient au clocher de l’église. « Tiens, déjà », se dit Eloi. Il reprit sa marche entre les stands, eut envie de tout essayer, pourtant il se retenait. « Si j’attends encore un peu, les manèges tourneront plus longtemps parce qu’il y aura moins de monde, je pourrai avoir les tartes invendues à moindre prix, je m’essayerai au tir juste avant la fermeture ». Tout en philosophant, Eloi admirait les bouquets de fleurs, saluait une connaissance, souriait de la joie des curieux, observait les flâneurs.

Sept heures sonnaient au clocher de l’église. « Allons-y », se dit Eloi. Il tendit un billet à la caissière pimpante du manège tourbillon, mais elle lui indiqua une pancarte de son doigt : « dernier tour ». Il se dirigea alors vers le labyrinthe de miroirs, mais la lumière s’éteignit devant lui. Il voulut entrer dans la maison de l’horreur, mais le vendeur quittait les lieux sa caisse sous le bras. Le stand de tartes était vide, le préposé au tir rangeait ses fusils, les badauds rentraient chez eux heureux de leur journée. Eloi quant à lui se tenait immobile, comme deux ronds de flan, bousculé de droite et de gauche par des hommes un peu ivres, de bière ou de manège, on ne savait trop.

Eloi, pensif, se rendit compte que son avarice l’avait privé de toute joie. Il jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus. L’année prochaine, il ne jouera pas au radin, il dépensera tout son argent en folies de façon à en profiter un maximum.

Cette fable aurait pu s’arrêter là, la morale aurait eu de quoi occuper Eloi pour les 365 jours qui le séparaient de la prochaine fête foraine. Mais il se décida à rentrer chez lui. Il enfonça son chapeau sur sa tête, ses poings dans ses poches, et prit le chemin du retour, avec bien moins d’enthousiasme qu’à l’aller. Il avait déjà parcouru la moitié de sa route, la nuit était tombée, quand il se trouva nez à nez avec un homme d’une truculence caractéristique. Un rayon de lune échappé d’un nuage lui permit d’examiner sa physionomie : Sa face faisait briller ses yeux d’oiseaux de proie, sa petite bouche cruelle émettait des rictus sinistres, son vêtement lacéré aurait fait pitié si le comportement brutal de cet homme n’avait pas révélé sa sauvagerie et sa violence. Avec rudesse, il s’agrippa à la veste d’Eloi, et, avec un souffle pestilentiel, il siffla « ta bourse, vite ! ». Eloi tenta de s’échapper de sa poigne, mais en vain. Il expliqua qu’il revenait de la fête foraine où il avait dépensé tout son argent. L’homme approcha son nez de la bouche d’Eloi : « Comment, tu dis avoir tout dépensé, mais tu ne sens pas l’alcool, tu ne sembles pas t’être amusé, tu mens ». Sa main se fit plus sévère, il secoua Eloi et l’enjoignit une dernière fois de lui donner sa bourse. Au lieu d’attendre la réponse, de sa main libre, il tâta les poches d’Eloi, et dans un cri de victoire, attrapa la bourse et s’enfuit sans demander son reste.

Eloi, qui était un peu philosophe, comprit mais un peu tard que s’il ne savait pas s’employer à dépenser son argent, un autre le fera à sa place.



Texte écrit pour l'agenda ironique hébergé chez "Le dessous des mots". Il fallait écrire une fable, avec une morale et 4 mots imposés : gagnant, truculence, tringueld, quadragésime.

Note : Merci à Max, grâce à lui j'ai appris que "truculence" avait deux sens, j'ai opté pour le sens vieilli tellement joli !