Je ne comprends pas.
Elle était si heureuse de me
recevoir, et pourtant elle m’a rangé sur son étagère, entre un agenda et un
carnet. Pourquoi donc ne me touche-t-elle plus ? Pourquoi ne se sert-elle
pas de moi ? J’étais prêt à lui offrir, avec générosité, chacune de mes
pages blanches. Par deux fois, déjà, mon cœur a battu la chamade, elle m’a
frôlée de son doigt. C’était une caresse sur ma tranche, elle m’a fait frémir.
Une fois, elle m’a même saisi, m’a ouvert et m’a feuilleté en soupirant :
« Vivement que le petit carnet soit plein pour que je puisse commencer à
écrire dans mon Moleskine ».
C’était donc ça. Elle me
délaissait par souci d’économie. J’étais un peu meurtri. Aurait-elle un petit
côté radin, ou ne serait-ce que de la parcimonie ? Quoi qu’il en soit, et
je faisais tout pour essayer de la comprendre, mais pour moi il n’y avait
qu’une seule évidence : j’étais affreusement déçu. Elle aurait pu être
moins chiche, moins ladre, et abandonner son médiocre carnet noir pour ne
penser plus qu’à moi. Quelle déception.
Ma vie allait-elle se dérouler
sur une étagère ? Rapidement encartonné après ma naissance, j’avais
surtout connu le tourniquet de la librairie. Mes frères en couleurs partaient
plus vite que moi, surtout l’orange et le bleu turquoise. Ma teinte noire me
pesait alors. J’aurais tant aimé être orange ou bleu, ou même rose ou vert.
Ma consolation avait été totale
le jour de l’anniversaire d’Alphonsine. J’avais vraiment cru à un nouveau
départ, et voilà que je croupissais à nouveau sur une étagère, encore plus
malheureux puisque je n’avais rien à dire au carnet devant moi, et encore moins
à l’agenda vieux de huit ans.
J’eus envie de me révolter. Mais
avec des pages déjà blanches, quels moyens de pression me restait-il ? Je
devais me rendre à l’évidence, me calmer et attendre patiemment le bon vouloir
de ma propriétaire.
Un jour enfin, il y eu un
remue-ménage dans la bibliothèque. Alphonsine me saisit en s’écriant : « Enfin,
je vais pouvoir me servir de mon Moleskine ». Elle me glissa dans un sac.
J’étais un peu seul dans ce grand sac, mais pas pour longtemps. Des livres me
rejoignirent, et bientôt nous fûmes très à l’étroit. Il y eut du d’Ormesson, du
Frison-Roche, Aristote et Georges Duhamel, des livres de philosophie et des
cours. Juste avant que le rabat ne se ferme, j’entendis Alphonsine clamer :
« J’ai fini mes bagages, mes livres sont prêts. Il me reste à préparer
quelques vêtements, c’est une affaire de cinq minutes ! »
Mon voyage commença et c’est sous
un magnifique soleil que je débutai ma carrière.
Excellent, j'ai vraiment hâte d'avoir la suite, je sens que ce Moleskine va en avoir à nous raconter punaise....
RépondreSupprimerJe compatis....dites bien à Moleskine que j'ai un plein carton de carnets et de cahiers tout beau tout neuf que j'utiliserai un jour, promis (si je n'en achète pas d'autres avant...)
RépondreSupprimerla suite ! la suite !
Jolie histoire de Moleskine. J'attends la suite. Chic ! - Et bonjour bonjour Aphonsine ! Ravie de te lire après mon "absence" :)
RépondreSupprimerJ'arrive un peu tard mais je découvre ton histoire de moleskine... et j'ai hâte d'en savoir plus ! J'espère que les vacances ont été bonnes !
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