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Madame,
excusez-moi, mais que faites-vous, où allez-vous ?
-
J’ai
rendez-vous avec Monsieur Emile Sigmind.
-
Et ces
valises ?
-
Oh,
mais c’est pour le voyage de Monsieur Sigmind.
-
Enfin,
Madame, mais vous savez bien, Monsieur Sigmind ne peut plus voyager, il ne peut
plus quitter son lit. Restez où vous êtes, je vais chercher le Directeur.
Pendant
que l’infirmière courait à la recherche du chef d’établissement, Estelle se
précipitait dans la chambre de son ami Emile Sigmind. « Emile, c’est moi,
Estelle. Etes-vous prêt pour votre voyage ? » Sans attendre la
réponse qu’il ne pouvait plus donner, elle se pencha pour lui faire la bise.
Elle avait pris l’habitude d’interpréter les pensées d’Emile et de les
formuler. Elle le regardait alors pour voir s’il était d’accord avec sa
supposition, puis continuait son monologue-dialogue. Après le drame qui avait
touché Estelle, elle avait décidé d’adopter un de ses voisins. Elle était
entrée dans la maison de retraite située en face de son immeuble, avait choisi
un résident agréable, et venait régulièrement lui rendre visite et l’égayer. Au
fil des mois, la santé d’Emile déclinait, mais Estelle, avec sa joie et sa
verve, parlait pour deux pour le plus grand plaisir d’Emile. Le jour où il ne put
plus se lever, Estelle prit une décision : « Emile, vous m’avez dit un
jour que vous auriez aimé visiter l’Inde mais que c’était trop tard. Moi je
vous dis que rien n’est jamais trop tard, et que la semaine prochaine je vous
emmènerai en Inde. » Au sourire d’Emile, Estelle sut qu’elle avait touché
juste. « Ce sera un voyage un peu particulier, vous irez en Inde sans
quitter votre lit, mais je suis sûre que vous allez a-do-rer ».
Ce
jour-là, donc, elle était entrée dans sa chambre avec une énorme valise à
roulettes. Emile la regardait avec attention, l’œil un peu pétillant. Il savait
qu’il pouvait s’attendre à tout avec Estelle, elle n’était jamais à bout de
surprises. Elle coucha la valise sur le sol, en retira un ordinateur, un
projecteur, installa le tout sur la table d’appoint à côté du lit. Elle ajouta
un plat recouvert. Elle décrocha délicatement les tableaux et les posa sur le
bureau, puis elle ferma les rideaux pour assombrir la pièce. « Emile,
puis-je vous redresser un peu ? Voilà, ainsi c’est parfait. Mais
dites-moi, ne m’aviez-vous pas dit que vous ne partiriez jamais sans votre
plante verte ? » Elle prit la plante, et la posa dans les bras
d’Emile qui souriait d’aise. Elle inséra un DVD dans l’ordinateur et alluma le
projecteur. « C’est l’Himalaya. Quelle majesté… »
A ce
moment-là, la porte s’ouvrit à toute volée : « Monsieur le Directeur,
cette folle veut emmener Monsieur Sigmind en Inde. Regardez, la valise vide
posée sur le sol. C’est quoi ces volets fermés. Mais c’est quoi ce bazar ? »
Le Directeur entra à son tour et inspecta les lieux. Il regarda Estelle et
Emile. « J’avoue ne rien comprendre. Quels sont vos
objectifs ? » Il parlait d’un ton très doux, il avait manifestement
compris qu’Estelle n’envisageait pas de partir avec Emile. Dans un grand
sourire, Estelle lui dit qu’ils étaient en Inde, qu’ils admiraient l’Everest et
qu’ils aimeraient poursuivre leur voyage. Le Directeur sourit, tapota la main
d’Emile en lui disant « Quelle chance vous avez de faire un si beau
périple, je vous envie beaucoup ». L’infirmière se frappa le front en
entendant ces mots et sortit en grommelant.
Estelle
qui s’était levée, se rassit à côté d’Emile, et remit le film en marche. Les
paysages étaient grandioses, tous plus saisissants les uns que les autres.
Emile prit la main d’Estelle et la serra. C’était son moyen à lui de la
remercier. Ils traversèrent ainsi des vallées profondes, marchèrent sur des
sentiers escarpés qui donnaient le vertige et beaucoup de frayeurs, chaque pas
pouvant entraîner une chute brutale dans le ravin. Il fallait suivre le mulet
qui marchait devant, et mettre ses pas là où il avait posé ses sabots. C’était
la consigne du guide. Pendant la pause, tout le monde s’assit sur une pierre.
Estelle ouvrit le couvercle de son plat et en sortit des cheese-naans et des
lentilles au curry. Emile se régala. Cela faisait si longtemps qu’il n’avait
mangé un plat aussi délectable. Il ferma les yeux pour sentir les épices
parfumer son palais. Maintenant il se sentait bien dans ce cirque majestueux. Le
petit souffle d’air frais lui permettait de reprendre des forces, parce qu’il
faudrait poursuivre la route pour
arriver au campement avant le soir. Lorsqu’il ouvrit les yeux, Estelle le
regardait. Il lui sourit et murmura « C’était si bon, ce voyage est
fantastique ». Il avait parlé. Estelle en fut remuée. Elle remit le DVD en
marche pour qu’ils puissent poursuivre leur promenade à travers les montagnes
enneigées.
Lorsque
le documentaire prit fin, Estelle installa Emile confortablement. Elle ne
l’avait jamais vu aussi heureux. Elle rangea ses affaires, replaça le pot de
fleur sur le rebord de fenêtre et lui dit : « A demain Emile, nous
aurons une rude journée demain. Après un court vol d’avion, nous irons à New
Delhi. Dormez bien ! »
Elle
sortit de la pièce, ferma doucement la porte. Emile avait fermé les yeux,
Estelle savait qu’il se remémorait tout le voyage qu’ils venaient de faire.
Elle croisa l’infirmière et lui dit juste avant la fermeture des portes de
l’ascenseur : « Emile n’aura pas faim ce soir, nous avons soupé
ensemble ». Les portes se fermèrent, Estelle éclata de rire.
Le
lendemain elle croisa le Directeur en arrivant : « Bonjour Madame, je
vous guettais. Je voulais vous féliciter pour votre initiative. Je suis allé
voir Emile hier soir, il m’a dit dans un souffle « Je suis heureux ».
Avez-vous bien perçu quelle somme de bonheur vous lui apportez ? »
Estelle lui répondit que le voyage n’était pas fini, que le programme prévoyait
dix jours de visites.
Lorsqu’elle
entra dans la chambre, Emile reposait sur ses oreillers, le lit un peu élevé.
Il se portait manifestement bien mieux que la veille. Estelle installa son
matériel, donna la plante à Emile, s’assit sur le lit, et les voilà à New
Dehli. Les jours suivants ils allèrent dans tous les coins de l’Inde, pour voir
les éléphants, les temples, le Gange, Bombay et Calcutta. Estelle avait donné
une carte de l’Inde à Emile pour qu’il arrive à situer les lieux. Ils allèrent
du nord au sud, d’est en ouest pour repartir au nord, sans aucune logique,
c’était leur richesse. Tous les jours, Estelle apportait le déjeuner aux goûts
et aux saveurs de l’Inde. Emile mangeait chaque jour un peu mieux. Il se
sentait mieux aussi, retrouvait l’usage de la parole, remerciait Estelle pour
ce sublime voyage.
Le
dernier jour, lorsqu’Estelle mit fin au voyage, Emile lui dit :
« Estelle, vous m’avez donné un bonheur inouï. J’ai voyagé avec ma plante
verte en Inde. Maintenant, je dois poursuivre mon voyage, mais là où je vais,
je ne peux emporter ma plante. Je vous
la donne, en souvenir de ces dix jours passés ensemble. Je n’ai rien d’autre à
vous offrir, je peux juste vous dire encore une fois : Merci. »
Estelle
prit la plante, embrassa Emile. Il ferma les yeux, et partit en voyage, seul cette fois, vers d’autres
Cieux.
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Choisissez un moyen de transport
Choisissez un compagnon de voyage (animal ou végétal)
Il ne vous reste plus qu’à raconter votre aventure en moins de 3000 caractères (espaces compris)
Magnifique histoire... ♥♥♥
RépondreSupprimer(Tu me prêtes un mouchoir ?)
Deux si tu veux !
SupprimerTrès joli texte, je sais que tu es une adepte des voyages virtuels, je ne savais pas que tu savais si bien les raconter !
RépondreSupprimerMerci Sécotine. On se voit en juillet ?
SupprimerTrès belle histoire, très bien contée.
RépondreSupprimerJe l'apprécie d'autant plus que je pratique aussi les voyages immobiles.
Et on dirait que la fin de la saison des examens a un effet positif :)
J'aime aussi les voyages immobiles : je ferme les yeux et je m'imagine ailleurs. C'est très apaisant !
Supprimermerci de cet extraordinaire voyage !
RépondreSupprimerMerci à toi d'être venue voyager sur mon blog !
SupprimerQuelle belle histoire! J'adore!
RépondreSupprimerMerci Anne !
Supprimerbravo, Alphonsine! c'est tellement bien qu'après ça, je ne vois pas qui se risquerait encore sur cette consigne :-)
RépondreSupprimerTOP!
Tu es tellement gentille Adrienne, pourtant, j'aimerais te lire sur cette consigne.
SupprimerJuste magnifique! Si Pastelle n'a pas fini toute la boîte, peut-elle me la tendre, Svp?
RépondreSupprimerMerci!
Merci pour ton commentaire et pour ton passage ici !
SupprimerJe lis ce message en retrant d'être allée rendre visite à mon grand père dans sa nouvelle maison de retraite.. aurais tu un mouchoir brodé de petites fleurs?
RépondreSupprimerJe suis désolée de te faire sortir ton mouchoir. Propose-lui un voyage virtuel avec tes enfants...
SupprimerPfff c'est émouvant...
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