Un nouveau jour se lève. Moi aussi je me lève
péniblement. Je m’habille machinalement, je bois mon café lentement. Je sors de
chez moi en refermant la porte derrière moi, et je marche instinctivement. Je
ne pense à rien, ou plutôt, je pense à lui. Lui qui est parti trop tôt, trop
vite. Cette séparation sans adieu, sans la certitude de se revoir me brise.
Depuis ce jour, j’erre. Je marche, et sans m’en apercevoir, je me dirige vers
la gare. Comme tous les jours. Il est tôt, les passants marchent vite, vers le
quai, vers le train, vers l’avenir. Eux ont un avenir. Moi pas. Je les suis de
mon pas lent, et m’installe sur mon banc, face aux voies. J’ai bien un peu
froid, mais je ne m’en soucie pas. Les trains vont et viennent, à une cadence
régulière.
Une voyageuse vient s’asseoir à côté de moi, son
téléphone à la main. Je tends l’oreille. « Tu dis que tu as rangé ton
salon ? Alors explique-moi, ma fille, ces bouteilles, les verres
sales ? … Une fête ? Et pour quelle occasion ? ... Pourquoi
éprouves-tu le besoin de faire la fête avec des amis, la famille ne te suffit
donc pas ? … Comment je suis entrée ? Mais avec la clef que m’a
prêtée la propriétaire. Heureusement qu’elle m’a laissée entrer, j’ai pu voir
que tu avais fait ripailles, et me voici dans une grande inquiétude… Mais ma
chérie, il faut bien que je veille sur toi puisque tu fais des sottises… Oui,
même à trente-deux ans… Je viendrai te voir ce soir ».
Je ne supporte pas ces mères poules, ces créatrices
de célibataires. Elles me donnent envie de hurler, de leur crier de laisser
vivre leur progéniture, qu’elles doivent apprendre à devenir des mères, et
abandonner leur rôle de maman. Sans réfléchir, je me jette sur elle pour lui
arracher son portable : « Mademoiselle, n’écoutez pas votre mère,
elle vous étouffe. Changez votre serrure, faites un bilan des rapports malsains
qu’elle tisse avec vous… »
La mère essaye désespérément de récupérer son bien,
mais je me lève et marche rapidement le long du quai. « Je ne vous connais
pas, mais la vie doit être faite de bonheur, de joie, d’allégresse et d’amour.
Cela vous appartient, si vous ne vivez pas aujourd’hui intensément, votre
avenir sera irréparable. Embrassez votre vie à pleine main, et surtout…
- Bon, ça suffit, me dit la dame les yeux pleins de
larmes, elle m’arrache son portable et s’engouffre dans le train qui vient
d’arriver.
Je reste là, les bras ballants, me souvenant de ce
que je viens de faire et de dire. Et je repars soudain, la tête haute. Le
brouillard s’est levé, mon avenir est devant moi. J’y cours…
J'aime beaucoup l'idée autant de que l'écriture.
RépondreSupprimerLe coup du téléphone, c'est jubilatoire ! Merci pour ce bon moment de lecture.
Alors déjà, je suis carrément bouleversée de te découvrir en lien avec Aspho...(qui tient l'un des plus beaux ateliers d'écriture de la blogo).
RépondreSupprimerEt quel plaisir de te lire dans cette demi-fiction, je sais à quel point ce thème te tient à coeur, et j'y retrouve tout ce que tu sais si bien décrire: les trains et les mères toxiques...entre autres...
Je suis heureuse de te voir dans ce registre.
Tu écris vraiment bien...
Ce personnage de mère abusive est criant de vérité ! Et la réponse de cette parfaite inconnue qui ose enfin dire ce qui aurait dû être dit depuis longtemps est libérateur.
RépondreSupprimerJe me demande bien de quoi s'est mêlé la propriétaire... certainement une mère toxique en puissance elle aussi.
Ha mais c'est bien vu ! J'en ai connu des mères envahissantes (pas la mienne, enfin...pas à ce point) ! Je trouve que dire à une inconnue ce qu'elle aurait peut-être dû dire à sa propre longtemps avant est excellent ! Bravo, une bien jolie première participation ! :)
RépondreSupprimerP.S. : et je remercie Galéa pour son compliment, je suis outrageusement flattée aujourd'hui !!! Si elle repasse, elle comprendra ! ;)
ah c'est donc toi, des noeuds dans mon fil :-)
RépondreSupprimertu commences fort, chez Asphodèle!
Quelle audace a ton personnage !
RépondreSupprimerBravo ;-)
Ah super, oser faire ça que ce serait chouette et aussi le faire comprendre à sa propre mère !!!
RépondreSupprimerC'est vrai que l'envie ne manque pas de s'inviter dans les discussions qu'on nous impose ! (dans les trains, justement, il y avait une campagne d'affichage sur le thème : "après votre appel votre voisin en saura aussi long sur vous que votre psy et votre maman")
RépondreSupprimeril faudrait juste oser prendre le téléphone ; bien joué (et bien écrit !) :)
Ouf ! C'est une fiction bien écrite, mais une fiction heureusement ! Belle arrivée sur les chapeaux de roues dans le cercle d'Asphodèle.
RépondreSupprimerMerci pour ce moment d'évasion...
RépondreSupprimerSi seulement c'était aussi simple de dire les choses...
Un passage à l'acte libérateur... Bravo !
RépondreSupprimerUne tranche de vie originalement dépeinte, j'adore. :D
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