Lorsque je suis venue m'installer à la campagne, j'ai vraiment eu un réflexe de refus : comment peut-on vivre dans un lieu distant de plus de 30 km de la première librairie digne de ce nom ? Oh, il y a bien deux toutes petites librairies dans les deux bourgs proches, mais les libraires ne sont pas du tout à la hauteur de la situation : ils sont incapables de conseiller leurs clients.
Je me souviens d'une mini-librairie, une librairie de poche, située au pied du château, à Chambéry. Le libraire avait décidé qu'il ferait l'impasse sur tous les prix Goncourt et autres livres à gros tirages, pour se consacrer aux livres qu'il aimait ou qu'il avait envie de faire aimer. Il suffisait de discuter un peu avec lui pour qu'il situe les goûts de son interlocuteur et qu'il propose des livres adaptés. Il pouvait bien se tromper un peu la première fois, mais ensuite, en entendant les commentaires du lecteur, il ciblait mieux les attentes de son client.
Et bien entendu, il pouvait toujours commander (par le minitel pour ceux qui connaissaient cette époque révolue) n'importe quel livre. Je l'ai beaucoup apprécié, et beaucoup regretté le jour où je suis partie.
Une autre librairie, également située en Savoie, mais à Aix-les-Bains, était de la même trempe : deux minutes de discussion avec le libraire : "je vais bientôt accoucher, il me faut un livre qui me passionne, et suffisamment gros pour que je puisse lire durant tout le travail et toute la nuit qui suit". J'ai ainsi lu "Les Aubarède" d'Yves Courrière. C'est une saga d'une famille de cuisiniers, avec l'évolution des méthodes d'apprentissage et des techniques de cuisine. Passionnant...
Mais en général ces micro-librairies ne tiennent malheureusement pas longtemps face aux mastodontes qui leur font face. Et c'est bien dommage qu'il n'y ait plus de lieu où l'on puisse discuter de lectures. Heureusement aujourd'hui les blogs permettent de compenser ce manque.
Pourtant, au Havre, j'ai pu profiter d'une librairie originale. Avant l'arrivée tonitruante de la FNAC, elle a racheté des locaux pour s'agrandir, elle a installé un bar avec des fauteuils et des petites tables au milieu de l'espace, ainsi que de nombreux sièges disséminés dans toute la librairie pour permettre aux clients de prendre leur temps. Sur les tables centrales, il y avait des panonceaux comportant le nom et la photo du vendeur, ainsi que le dernier livre qu'il avait lu avec son commentaire. En-dessous, les livres qu'il avait aimés. Très vite, on pouvait savoir avec quel vendeur on avait des accointances, et ainsi le choix d'un livre devenait plus facile.
Et aujourd'hui ? Loin de la civilisation ?
Il y a bien Amazon qui permet d'acheter par correspondance, mais les livres qu'il est loisible de feuilleter sont encore bien trop rares. Et puis il est difficile de savoir comment passer les livres en revue, comme sur un rayon, pour en retenir un. Après quelques années de pratique, j'avoue devenir très forte à ce jeu-là, et très rares sont les livres que j'achète et qui ne m'intéressent pas. La possibilité de lire les commentaires des lecteurs est vraiment intéressante, mais il faut savoir lire entre les lignes pour se faire une idée proche de la réalité. Un enthousiasme trop violent de la part d'un commentateur n'est pas un gage de bonheur de lire subséquent.
Le dernier livre que j'ai acheté de cette façon m'a beaucoup plu. Il s'agit d'un couple qui se rend dans une maison de retraite pour rendre visite à la mère du mari. Sa femme, Evelyn s'ennuie parce que sa belle-mère l'ignore. Elle se promène alors dans la maison de retraite et rencontre Ninny qui, du haut de ses quatre-vingts ans, de sa pétulance et de sa joie de vivre, va redonner un nouvel élan à Evelyn.
Le livre se déroule au rythme des souvenirs de Ninny, plutôt dans un ordre chronologique, mais parfois elle fait des sauts en avant ou en arrière. C'est tout le charme de ce livre, associé à la renaissance d'Evelyn !
"Beignets de tomates vertes" de Fannie Flagg