mardi 29 novembre 2011

Le jeu


Michael Bourbin quitta son appartement, et, en passant, dans le hall d’entrée, ouvrit sa boîte aux lettres d’un geste qui se voulait insouciant, et prit le courrier. Il fit immédiatement le tri, jeta les prospectus et les publicités, garda dans sa main la seule enveloppe qui l’intéressait, et remit le reste dans sa boîte. Il sortit ensuite dans la rue, un sourire aux lèvres. Il avait attendu cette lettre avec tant d’impatience, il savait bien que c’était la bonne, puisque le notaire avait fait graver son adresse sur ses enveloppes.

Enfin, une nouvelle vie allait commencer… venait de commencer avec l’arrivée de cette lettre. Parce qu’il n’avait pas attendu l’avis du notaire pour changer de vie. Il venait de signer un compromis de vente pour acquérir un bel appartement. Oh, rien de vraiment luxueux, un appartement un peu plus grand et surtout bien à lui cette fois. Le concessionnaire n’attendait que le chèque pour qu’il puisse prendre possession de sa nouvelle voiture. Il est vrai que toutes ces dépenses étaient conséquentes, mais le notaire lui avait indiqué la somme que lui léguait sa vieille tante avec certitude. Il avait bien spécifié qu’il fallait attendre de ses nouvelles avant de prendre toute décision. Mais Michael connaissait sa tante : elle avait été si économe… Et à présent il avait l’enveloppe tant attendue entre les mains. Non, il ne l’ouvrirait pas tout de suite, il voulait encore profiter de ce bonheur, le faire durer. Il allait marcher quelques minutes encore, et il prendrait une coupe de champagne à la terrasse de ce petit bar si sympathique. Il fêterait ainsi le départ de sa nouvelle vie.

Au moment de s’asseoir, il ne tint plus, et ouvrit la missive. Il voulait à tout prix connaître la date à laquelle la somme serait versée sur son compte, et ensuite il téléphonerait au garage pour fixer une date pour la réception de la voiture.

Monsieur,

Comme convenu, je reprends contact avec vous dans l’affaire citée en référence. Je souhaiterais vous rencontre dans les plus brefs délais. En effet, des faits nouveaux concernant votre tante ont été portés à notre connaissance, et ils viennent bouleverser ce dossier qui semblait limpide.

Un créancier s’est fait connaître il y a peu, et il semblerait que sa créance fort élevée soit absolument incontestable. Dans ces conditions votre tante ne serait pas solvable, et il faudra envisager de refuser la succession.

Je vous remercie de bien vouloir prendre contact avec mon secrétariat afin de fixer un rendez-vous…..

La lettre lui glissa des mains jusqu’à terre. Le consommateur assis à une table proche, se pencha pour la ramasser, et la parcourut rapidement du regard avant de la poser devant Michael. C’est le moment que choisit le serveur pour prendre la commande. Mais Michael se leva sans un mot, passa devant lui sans le regarder et partit, abattu, la lettre pendue au bout de ses doigts. Le client qui lui avait ramassé la lettre lui emboîta le pas. Le serveur les regarda s’éloigner, étonné de leur attitude, puis il haussa les épaules et rentra dans le bar.

Michel marchait d’un pas lourd. La tête lui tournait. Parfois, il devait s’arrêter, se tenir aux murs avant de reprendre sa marche. Il ne savait d’ailleurs pas où il allait, il marchait machinalement, droit devant lui. Dans sa tête, résonnaient inlassablement les mêmes mots « ruine, facture, créance, honte, appartement, nouvelle voiture, promesse de vente, ruine, ruine, honte… » Les mots martelaient son crâne, ses facultés de réflexion étaient bloquées, comme anéanties. Michael tanguait, flanchait, se redressait, peinait, et finalement il tournoya sur lui-même et s’écroula sur une borne en pierre.

L’inconnu du café qui l’avait suivi, s’approcha alors. Il posa sa main sur son épaule, mais Michael ne réagit pas. « Excusez-moi, Monsieur,… » Toujours pas de réaction. Il interrompit Michael dans ses réflexions en parlant avec énergie : « Je vous prie de m’excuser, Monsieur Bourbin, mais il faut que je vous parle. Vous allez penser que je suis bien importun et indiscret de vous aborder ainsi. Il se trouve que j’ai lu votre courrier au moment où je l’ai ramassé, et que j’ai compris que vous êtes dans une situation sinon difficile, du moins fort délicate. Mais je peux vous aider ».

A ces mots, Michael leva la tête, soudain intéressé, et un peu interloqué. Mais les bonnes manières de l’inconnu lui faisaient bonne impression, et surtout, l’état mental dans lequel il se trouvait ne lui permettait pas de réfléchir. D’ailleurs, l’inconnu continuait : « J’ai un moyen facile de vous faire gagner de l’argent. J’ignore combien il vous faut, mais dans un premier temps, c’est cinq milles Euros que je peux vous proposer. Voilà : avec des amis, nous organisons des paris les plus fous. Cette fois, nous avons parié que je prendrai le volant d’une voiture, qu’on me confierait une mallette et que je ne me ferai pas prendre par les copains, et ce, quelles que soient les circonstances. C’est à la fois facile, et peut-être un peu périlleux, parce que tous les coups sont permis. Lorsque je vous ai vus désemparés, je me suis dit que je pouvais vous faire profiter de ce pari, parce que je n’aime pas conduire. Voulez-vous me remplacer ? Vous pourrez gagner le pari, et je vous donnerai le gain. Si vous avez une oreillette pour votre téléphone portable, nous pourrons rester en contact. »

Michael, la tête comme dans un étau, ne retint que le chiffre de « cinq mille Euros » de tout ce discours. Il acquiesça immédiatement et suivi l’inconnu. Celui-ci passa un coup de fil : « Nous serons là dans cinq minutes et nous attendrons la mallette ».

« Voilà la voiture, installez-vous au volant. Dès que la pochette vous sera remise, démarrez en trombe, prenez la direction de Vertal, je vous donnerai les indications par téléphone pour la suite. Bon courage ! »

L’inconnu se recula dans l’embrasement d’une porte cochère, une voiture s’arrêta à la hauteur de Michael, le passager lui lança la mallette par la fenêtre laissée ouverte, et Michael démarra. Tant qu’il roulait en ville, il respecta les limites de vitesse de peur de commettre l’irréparable. Il attendait d’atteindre la campagne pour accélerer et rejoindre le lieu convenu dans les délais impartis.

« - Tout va bien ?
- Oui.
- Avez-vous remarqué si quelqu’un vous suivait ? Mes amis vont tout faire pour vous faire perdre, c’est dans la règle du jeu.
- Je n’ai rien remarqué… si, une voiture de police approche.
- Accélérez ! Mes potes se sont déguisés. N’oubliez pas, il y a cinq mille Euros à la clef. Vous pouvez prendre toutes les initiatives que vous voulez, pourvu que vous ne vous fassiez pas prendre la mallette. »

Michael se prit au jeu. Comme il était sorti de l’agglomération, il se mit à accélérer. La voiture de police fit de même et alluma son gyrophare et sa sirène. Michael sourit en accélérant encore un peu : la ligne de droite lui permettait de rouler vite, et la voiture lui semblait puissante ! Quel plaisir de conduire un tel bolide ! Il accéléra encore un peu, la police toujours derrière lui. Elle semblait se rapprocher. A présent, Michael roulait à une telle vitesse qu’il dut doubler dangereusement le véhicule devant lui, et se rabattre brutalement. S’il continuait en ligne droite, il serait rattrapé, il lui fallait opter pour une stratégie différente. A l’intersection suivante, il freina brutalement, puis tourna à gauche, passant de justesse devant une voiture qui arrivait. La voiture de police dût s’arrêter, et Michael pu ainsi gagner du terrain. Son bolide était excellent dans les accélérations, alors que l’autre véhicule était plus performant dans une vitesse constante. Il fallait donc changer de direction souvent pour fuir et échapper aux amis de… de qui déjà ? Il n’avait pas donné son nom.

« - Où en êtes-vous ?
- Au milieu de champs de maïs. Je tourne une fois à droite, une fois à gauche, parce que je suis plus rapide dans les accélérations.
- Très bien. Continuez. Si vous arrivez à vous cacher, ce sera parfait. Si les autres ne vous retrouvent pas, nous gagnerons. »

Michael était accroché au volant. Il doublait, se rabattait, tournait, revenait en arrière, toujours suivi de près par la voiture de police. Décidemment les amis de l’homme rencontré étaient de bons conducteurs et tenaient à gagner eux aussi leur pari.

C’est alors que Michael vit une autre voiture de police venant en face. Cette fois, c’était terminé, il avait perdu, à moins que…

Il tourna brutalement dans le chemin situé sur sa droite, arrêta sa voiture dans un crissement de freins, détacha sa ceinture de sécurité, attrapa la mallette de la main droite tout en ouvrant la porte de sa voiture, et s’élança dans le champ de maïs pour disparaître à la vue de ses poursuivants. « Cette fois, je leur ai échappé ! » se dit-il très fier.

« - Que se passe-t-il ?
-  Saviez-vous que vos amis avaient deux voitures de police à leur disposition ?
- Que dites-vous ? Vous avez perdu ?
- Non, lorsque j’ai vu l’autre voiture, je me suis arrêté, et je me suis réfugié dans un champ de maïs. Ils ne me retrouveront jamais. Et dans la nuit je ressortirai. Nous avons gagné ! »

Michael avança dans ce qu’il lui semblait être l’autre extrémité du champ. « Ce qu’il y a de bien avec les champs de maïs, c’est qu’ils sont plantés de telle sorte qu’on peut se repérer. Je vais traverser, sortir de l’autre côté, et m’échapper à pied. Je serai plus discret ! »

Michael marcha à travers les épis. Enfin, il atteignit le bord. Il s’arrêta, il lui avait semblé entendre des voix : « Il est cerné, d’où qu’il sorte, il y aura quelqu’un pour l’arrêter ».

Il recula précipitamment pour se remettre à l’abri, et comme il n’avait plus rien à faire, il s’assit et attendit. Il lui fallut de longues minutes pour calmer les battements de son cœur. Heureusement que les hommes parlaient à voix haute, sinon il aurait perdu le grand jeu ! Et comme les émotions de la journée avaient été particulièrement fortes, il s’endormit à même le sol.

« Quel est ce bruit ! » Michael se réveilla en sursaut ! « Un hélicoptère, s’écria-t-il dans le téléphone, que dois-je faire ? … Allô ! Allô ! On a coupé ». Il s’écrasa au milieu d’une rangée, espérant que l’hélicoptère ne descendrait pas trop bas, sinon la puissance de son rotor aurait le même effet sur le maïs qu’un sèche-cheveux dans une chevelure. Il serait immédiatement repéré. Heureusement, il se contentait de voler en rond suffisamment haut pour ne pas le voir.

Michael essaya de rappeler son correspondant pour savoir s’il avait perdu ou s’il devait continuer le jeu de cache-cache. Mais il fit une fausse manœuvre, et mit la radio.  « On apprend à l’instant qu’un vol à main armée a été commis dans la plus grande bijouterie de la Mérande. Tous les bijoux ont été emportés. La police est sur la trace d’un suspect qui a fuit en voiture. Actuellement il est poursuivi, mais la police espère mettre rapidement la main sur lui. »

Michael eut une douche froide. D’un coup, son cerveau s’était remis à fonctionner. Comment avait-il pu croire à une histoire aussi farfelue. Comment allait-il pouvoir se justifier ? Personne ne le croirait. C’est alors qu’un chien sauta sur lui. « Ne bougez plus où vous êtes un homme mort ! » La police l’avait retrouvé…

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