samedi 30 juillet 2011

Vingt-quatre heures exactement

Le concours proposé sur le site au-feminin m'a vraiment inspirée, et j'ai écrit trois nouvelles, une sur chaque thème. Voici la deuxième nouvelle intitulée "vingt-quatre heures exactement". Elle vient de paraître sur le site.
Je vous redonne les références de la première "Elle"




Vingt-quatre heures exactement


Ce matin, j’ai trouvé un Smartphone dans le bus. Etrangement, le véhicule était désert lorsque je suis montée, c’était pour le moins inhabituel. Je me suis assise immédiatement derrière le conducteur, et… j’ai vu un Smartphone sur le siège devant moi. Je l’ai pris délicatement, un sourire a éclairé mon visage : je n’avais jamais encore tenu de Smartphone. Certes, j’en avais entendu parler, j’avais même manipulé celui d’une amie. Mais je n’en possédais pas. Et voilà que j’en avais un. Je chassais immédiatement cette pensée : bien entendu, il n’était pas à moi, il me fallait chercher son propriétaire. Je voulus consulter le carnet d’adresse. Il n’y avait qu’un seul numéro. Un seul numéro, certainement celui d’un très proche. Je ne perdais rien à appeler. Je tombai sur un répondeur : « Bonjour, j’étais le propriétaire de ce Smartphone, je n’en veux plus, je vous l’offre bien volontiers. Ne vous faites pas de soucis pour l’abonnement, et n’oubliez pas le câble pour le recharger, il se trouve sous le fauteuil… Bon courage ! »
 
Curieux… je cherchai sous le fauteuil, et je trouvai le câble comme indiqué. Mais pourquoi donc ce ton ironique dans les deux derniers mots ? Je me levai en sursaut : j’allais laisser passer l’arrêt. Je sortis. Je me rendis à mon travail, et, chose étonnante, je fus tellement prise par mon travail que j’en étais arrivée à oublier l’existence de mon nouveau téléphone. C’est en montant dans le bus le soir que je le sortis à nouveau de ma poche. Je passerai la soirée à l’adopter, à le comprendre, à télécharger des sites incroyables.
 
En descendant du bus, il se mit à sonner. Sans même réfléchir, je décrochai :
- Allo ?
- Bonsoir. Appuyez sur la touche 1 de votre téléphone.
- tut, tut, tut
On avait raccroché. J’appuyai sur la touche 1, et il ne se passa rien. J’étais arrivée. J’introduisis la clef dans la serrure, j’entrai dans l’immeuble, pris mon courrier, et grimpai les étages. Arrivée devant ma porte, je la déverrouillai, et comme à mon habitude, je donnai un grand coup d’épaule dans la porte pour qu’elle s’ouvre. Je passai au travers, et me retrouvai dans mon appartement, la porte fermée et la clef toujours sur la porte ! J’eus l’idée de repasser mon bras à travers la porte, je récupérai la clef, et ramenai le tout à l’intérieur. C’est alors que je réalisai ce qui venait de se passer. Incroyable. J’en restai immobile de stupeur. Je tendis lentement la main vers le placard qui me tenait lieu de penderie, et je traversai la porte pour attraper un cintre. J’y suspendis mon manteau, et tentai de le raccrocher à travers la porte fermée. Ce n’était pas facile, parce que je ne voyais rien. Et c’était amusant…
 
J’entrai dans la cuisine, et décidai de préparer mon repas sans ouvrir les portes des placards. C’était assez drôle ! Je pris mon dîner en consultant mon tout nouvel Smartphone que j’avais pris la précaution de brancher pour le recharger. J’en restai émerveillée. Le dîner terminé, il se mit à sonner :
- Allo, vous serait-il possible de vous rendre au château du Fellibourg à l’instant ?
- Oui, mais…
Il avait déjà raccroché.
 
Je repris mon manteau, mon Smartphone, et cherchai mon vélo pour pédaler allègrement vers la sortie de la petite ville. Arrivée devant le château, nouvel appel téléphonique, cette fois pour me demander de pénétrer dans le château. Sans plus réfléchir, je trouvai beaucoup de charme à cette situation (et je me suis mainte fois reproché ensuite de n’avoir pas plus réfléchi), je traversai la muraille. J’arrivai dans la cour. Le « téléphone » me demanda de me diriger vers le donjon, puis d’y entrer. Ensuite, je reçu un ordre curieux : il me fallait compter les dalles à partir de la fenêtre, puis pénétrer à cet endroit, il y aurait un escalier sous mes pieds, je pouvais être rassurée. Surprise, j’hésitai un instant à obéir, mais je tentai malgré tout la chose : si je pouvais traverser latéralement les murs, il n’y avait aucune raison de ne pouvoir les traverser vers le sol. Je comptais les dalles, et, arrivée au centre de la pièce, je posai le pied sur la dalle indiquée. Incroyable, mon pied passa à travers et prit appui sur une marche. Je commençai à descendre lentement, mon corps traversant la pierre. Autant le passage des murailles m’amusait, autant je fus prise d’un frisson d’angoisse à traverser le sol.  Je repris mon Smartphone pour utiliser la fonction lampe de poche, parce que la lumière de la lune ne pouvait traverser les sols et que je me trouvai dans un endroit sombre ! Je regardai autour de moi : le caveau contenait des merveilles. Mais je n’eus pas le temps de me pencher sur les coffres, mon téléphone se mit à émettre des sons curieux. Je le regardai et fut prise d’une peur panique : la réserve de batterie était à son minimum, et si je ne pouvais plus sortir ?
 
Je poussai un cri effroyable, et gravis les marches de l’escalier de toute la vitesse dont j’étais capable. Je sentis comme un drap sur ma tête, mais je pus le traverser sans effort particulier. Mes épaules heurtèrent quelque chose de mou. Je poussai de toutes mes forces, et je pus traverser cette masse épaisse : un bras, un autre, je peinai à extirper mon corps, mes jambes montaient les dernières marches avec un effort épouvantable. Je criais de terreur, à l’aide de mes bras, je repoussais la masse de la dalle qui devenait de plus en plus solide. Ma taille était sortie, puis mes fesses. J’étais hors d’haleine, je puisai dans mes dernières forces pour m’extirper de là. D’un côté, mes jambes prenaient appui sur la marche, de l’autre mes bras poussaient vers le haut un corps que je sentais s’emprisonner. Dans un ultime effort, je pus sortir mes jambes jusqu’aux genoux, cette fois il me semblait impossible de progresser plus loin. Je ne sais comment l’être humain est capable de l’impossible, mais je le constatai ce soir-là, dans ces minutes qui ont été les plus longues de ma vie. J’arrachai littéralement de la pierre une de mes jambes, je pris appui sur le sol ferme, et tirai dans un hurlement de douleur ma deuxième jambe. Je ne pus jamais récupérer ma chaussure : elle était comiquement coincée dans la pierre, au milieu de la dalle.

Je m’écroulai évanouie. Lorsque je revins à moi, tout mon corps me faisait souffrir, et ma jambe gauche plus encore que tout le reste. Mon cerveau se mit lentement en marche, et je finis par comprendre que j’avais été manipulée pour agir au nom d’inconnus qui avaient des activités louches. Dire que j’aurais pu rester à tout jamais prisonnière de la pierre, la dalle aurait traversé mon corps de part en part, et je me serais sentie mourir lentement, écrasée par la matière. A quoi avais-je échappé !
Au petit matin, je me réveillai par un son de cloche. Comment avais-je pu m’endormir, je ne le compris jamais. J’entendis des bruits de pas, je me cachai dans le manteau de la cheminée, et je croisai les doigts pour que la personne n’entre pas. J’entendis une clef tourner dans la serrure, la porte s’ouvrit avec un grincement strident. Je retins ma respiration lorsque je vis ma chaussure coincée au milieu de la dalle. Qu’allait-il se passer ?
 
La porte s’ouvrit alors totalement, et un homme plutôt âgé pour ce que je pouvais en juger, entra en claudiquant. Il s’avança jusqu’au milieu de la pièce, se pencha en gémissant, puis poussa un hurlement qui me fit froid dans le dos, et s’enfuit en courant. C’était ma seule chance, je me précipitai vers la porte, tirant ma jambe gauche derrière moi. Arrivée à la porte, je jetai un coup d’œil rapide aux alentours, j’avisai un buisson, et pris le parti de m’y cacher, ne sachant trop où le vieil homme avait fui. Bien m’en pris, il revint immédiatement, portant un énorme fusil et accompagné d’une femme. Ils entrèrent tous les deux, et j’en profitai pour fuir vers l’entrée principale. Heureusement, la grosse grille était ouverte, et je plongeai dans le bois entourant le château. Je choisis de marcher plus lentement, sachant qu’avec mes blessures, je ne pourrai tenir un rythme soutenu.

Je récupérai mon vélo, grimpai tant bien que mal, ne pus pédaler, et continuai à pied en prenant appui sur ma bicyclette. Je parvins, je ne sais comment chez moi, branchai mon Smartphone pour le recharger, avalai des antalgiques et m’écroulai sur mon lit. Le téléphone sonna :

- Avez-vous trouvé ce que nous voulions ?
- Non.
- Alors retournez-y ce soir.
- Non, j’ai eu un problème et…
- Tut, tut, tut…

Mon cerveau était comme ankylosé. Dans un brouillard terrible, je me pris  à réfléchir, et je me rendis compte que j’avais été manipulée, et que je n’étais pas forcée de suivre les indications dictées par un inconnu, que de plus les demandes étaient plus que louches, et que si ce Smartphone me rendait esclave d’un phénomène que je ne maîtrisais pas, il me suffisait de me débarrasser de cet objet encombrant. Je le saisis, et le lançai dans la poubelle. Il se mit à sonner telle une sirène. Les voisins allaient accourir. Je le repêchai, il se tut. Je voulus alors ouvrir ses entrailles pour sortir la carte SIM, mais pas moyen, tout était scellé. Je le plongeai dans le lavabo rempli d’eau chaude (pourquoi chaude ? Je n’aurais su le dire !). Il flotta. Il se remit à sonner.

- Je vous conseille de respecter ce téléphone, sinon il pourrait bien vous arriver des malheurs.
 
Quelle ironie ! Le garder m’avait occasionné des aventures cuisantes dont je me serais bien passée, le détruire me nuirait également. Il fallait que je m’en débarrasse, mais comment ? Le détruire semblait impossible, quel que soit le moyen imaginé. A ce moment-là, le réveil se mit à sonner. Je réalisai alors qu’il était l’heure habituelle de mon lever. Je fis donc comme chaque matin, pris une douche, m’habillai de neuf, pris mon petit-déjeuner (entre temps, j’avais rebranché mon portable) et sortis… sans mon portable.
 
Au moment où je fermai la porte, il se mit à brailler. J’aurais dû m’en douter, ce cher petit ne voulait pas rester seul. Je retournai dans l’appartement, pris le Smartphone et le glissai donc dans ma poche et me rendis à l’arrêt de bus.
 
J’attendis mon bus avec impatience. Je montai, me penchai sur le premier siège, mais finalement décidai de m’installer au fond. A l’arrêt suivant, un jeune homme monta, s’assis au premier rang en tournant le dos au chauffeur. Je voyais son visage. Tout à coup, il eut un sourire extasié : il tenait un Smartphone entre ses mains…


2 commentaires:

  1. Bravo Alphonsine, ça fait froid dans le dos et j'aurai presque aimé une fin plus tragique pour l'héroïne.....
    trop facile de refiler le BB à un autre sans chercher à expliquer l'énigme ...
    il va nous falloir une suite Alphonsine !

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  2. C'est trop drôle... Euh... c'est hilarant ! pff... bien plus que cela ! Merci, merci merci !

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